ILVANA
Le chef du village attendait à l’entrée du hangar. Il s’était lavé le visage à l’eau trouble du marais, et avait revêtu sa plus belle jupe de fibres. Il aurait aimé porter des habits de couleur, comme ces hommes des collines, mais ici cela n’existait pas.
Il était grand et maigre, et s’appuyait sur un long bâton sculpté en bambou qui était le symbole de son rang.
Il vérifia le cube qu’il portait en pendentif autour du cou. Il était le seul dans le village à en posséder un. Il affichait un solde de 117 kubs, assez pour payer la prochaine livraison. Ils devraient accélérer l’extraction de pavés de tourbe, pour améliorer leur situation. Cette tourbe était bien appréciée par les habitants des collines pour se chauffer, car l’air y était un peu plus frais, semblait-il.
Il ne connaissait que les quelques marchands qui venaient avec leurs chariots. Il aurait bien aimé visiter leur contrée – pleine de fruits et de légumes et de zones d’eau transparente – mais il n’avait pas le droit d’y pénétrer. Les habitants des collines, avec leur cube aux reflets bleus, avaient par contre le droit de pénétrer dans leur territoire. Mais on ne les voyait presque jamais. Quel intérêt de visiter un paysage de boue et de marais, où les habitants sont presque tous malades ?
Mais c’était ainsi, depuis toujours.
Son assistant interrompit ses pensées.
– Ça y est, ils arrivent.
Les trois chariots étaient apparus au bout du chemin encore humide des pluies de la nuit.
Monsieur Poisson conduisait le premier attelage. Il l’appelait ainsi car il n’arrivait jamais à se rappeler de son nom.
– Bonjour, vous avez fait un bon voyage ?
– Bien merci, désolé d’arriver un peu tard. Mais le poisson est toujours de toute fraicheur.
– J’en suis sûr, répondit le chef.
Il souleva une feuille de fougère bleuâtre et prit un poisson aux nageoires piquantes afin d’observer ses ouïes. Satisfait, il le reposa en hochant la tête.
– C’est parfait, vous pouvez décharger, fit-il à l’adresse d’un petit groupe d’hommes qui attendait le signal.
Il resta à observer le transbordement des sacs de riz et des gros paniers remplis de fruits et légumes.
L’un des hommes fut soudain pris d’une violente quinte de toux qui le plia en deux. Keanan recula instinctivement.
Format livre de poche ou e-book – 235 pages